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COULOIRS HUMANITAIRES : L’ARRIVÉE DE RÉFUGIÉS SYRIENS ET IRAKIENS

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Mercredi 5 juillet, les premières familles de réfugiés syriens et irakiens ont débarqué à Roissy, accueillies par les représentants des institutions chrétiennes qui se sont mobilisées pour elles.

Nord-Liban. Une poignée de baraques de bois et de bâches, implantées à 5 kilomètres de la frontière syrienne, au milieu des champs agricoles. Ahmad Bakkar, 27 ans, a passé trois années avec sa famille dans l’espace confiné d’une de ces masures improvisées, situées en périphérie du village chrétien de Tal Abbas, après avoir fui les bombardements qui ont détruit leur maison à Kfar Aaya, dans la province de Homs.

Trois ans de privations et d’humiliations, qu’Ahmad a dû accepter tête baissée : « Au début, j’ai travaillé plusieurs mois dans le bâtiment, mais je n’ai jamais touché mon salaire. Puis j’ai voulu renouveler mon permis de résidence et on me l’a refusé, ce qui m’empêchait de circuler à cause des barrages de l’armée. Alors voilà un an et demi que je n’ai pas travaillé, ni quitté le camp de Tal Abbas. Je ne vis que de l’aide de l’ONU. »

Un long tunnel au bout duquel a jailli une source de lumière inespérée : mercredi 5 juillet, la famille Bakkar a embarqué dans un vol Air France à destination de Paris, où des membres de la communauté Sant’Egidio et de la Fédération de l’Entraide protestante (FEP) les ont accueillis pour les accompagner dans leur nouvelle vie de demandeurs d’asile en France.

À leurs côtés, trois autres familles de réfugiés syriens et irakiens, ainsi qu’un adulte seul. Tous étaient dans l’avion, dans le cadre du projet de couloir humanitaire, organisé par la Fédération de l’Entraide protestante, la Fédération protestante de France, la communauté Sant’Egidio, le Secours catholique et la Conférence des évêques de France. (Réforme/BIA) – Dammarie-les-Lys, France

Photo : Tony Karumba, AFP

Une bonne éducation 

D’ici à la fin 2018, 500 réfugiés syriens et irakiens du Liban seront installés en France. À la veille du départ, les yeux d’Ahmad brillaient d’anticipation : « En Syrie, notre maison a été détruite. Ici, je ne peux pas subvenir aux besoins de ma famille. Moi, j’ai déjà tout perdu, mais je veux tout faire pour que mes enfants aient une vie meilleure. La France, c’est notre chance de leur offrir une bonne éducation », dit-il devant Moatassim, 5 ans, et Nassim, née l’an dernier dans le camp de réfugiés, au Liban.

La famille Bakkar n’a pas été choisie au hasard. Valérie Regnier, responsable France de la communauté Sant’Egidio, rappelle que les bénéficiaires du couloir humanitaire, qu’elle qualifie d’«  œcuménisme solidaire », et qui est venue chercher les candidats au départ, sont sélectionnés selon deux conditions : «  Nous nous conformons au critère de vulnérabilité, défini par le droit européen de l’asile, ciblant les personnes âgées, handicapées, les femmes enceintes, les parents isolés, les victimes de traite, de torture ou de violence physique ou psychologique. À partir de cette base, il y a un élément plus subjectif. Car nous sélectionnons les personnes qui ont un vrai désir de venir en France et d’y construire une nouvelle vie », dit-elle.

Le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens et plus de 40 000 réfugiés irakiens, pour une population de 4 millions d’habitants. La plupart d’entre eux sont pris en charge par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), qui s’occupe de réinstaller les plus vulnérables

dans des pays tiers.

À la date du 28 février 2017, 16 497 réfugiés syriens ont été relogés en France par cette voie, dont 4 122 avec des visas humanitaires. Mais là où l’UNHCR se contente de recouper des variables pour sélectionner les cas humanitaires les plus urgents, les partisans de l’« œcuménisme solidaire » préfèrent établir une relation de confiance à mesure d’homme avec les réfugiés.

Depuis trois ans, Alessandro Ciquera mange, dort, sue et grelotte dans l’un des gourbis mal isolés du camp de Tal Abbas, aux côtés d’Ahmad, de son frère Qassem et des autres Syriens venus de Homs ou d’Alep. À 27 ans, le membre de l’organisation italienne Operazione Colomba a l’expérience d’un vieux sage avec les familles déplacées par la guerre : « En partageant leur quotidien, nous connaissons leurs souffrances, leurs traumatismes, mais aussi les qualités et les défauts de chacun. Et peu à peu, nous constatons que certains sont plus décidés à modifier leur

mode de vie et à s’adapter à un nouvel environnement que d’autres », dit-il depuis le camp informel inondé de soleil.

Mode de vie communautaire

En février 2016, lorsqu’un projet de couloirs humanitaires entre le Liban et l’Italie a vu le jour, Alessandro et les autres bénévoles de Tal Abbas ont joué un rôle essentiel pour identifier les réfugiés désireux de s’installer en Italie. « C’est un travail difficile que je ne souhaite à personne, livre-t-il. C’est frustrant de devoir sélectionner un nombre réduit de bénéficiaires parmi tant de personnes dans le besoin, et on subit la pression de ceux qui ne sont pas choisis. » Plusieurs dizaines de réfugiés de Tal Abbas ont déjà rejoint l’Italie, dont le frère d’Ahmad, amputé d’un bras à cause du conflit. Son frère cadet, Qassem, reste pour l’instant à Tal Abbas, dans l’espoir de rejoindre au plus vite Ahmad en France.

Parfois, ce sont les réfugiés eux-mêmes qui refusent de partir. Maria Quinto, responsable du couloir humanitaire pour Sant’Egidio au Liban, le souligne : « Beaucoup de réfugiés dans la vallée de la Bekaa font partie de grandes familles. Pour eux, pas question de se séparer. Il faudrait alors prendre d’un coup plusieurs centaines de personnes de la même famille, et leur mode de vie communautaire serait impossible à maintenir en Europe », dit-elle.

À l’inverse, le projet de couloir humanitaire vise à favoriser le regroupement familial pour des familles à taille plus modeste, comme l’explique Valérie Regnier : « Nous envisageons le regroupement familial au sens large, c’est-à-dire même pour des liens de seconde génération, afin de permettre à des familles éclatées de vivre ensemble. »

Dans l’avion en partance pour l’aéroport Roissy-Charles de- Gaulles le 5 juillet dernier, Ahmad Bakkar s’est assis aux côtés de Nasr Al-Zahouri, sa femme Rabiaa et leurs trois enfants. Ils s’apprêtent à retrouver leurs deux autres enfants déjà installés en France après avoir obtenu une bourse universitaire. Pour Nasr, ex-vétérinaire renommé à Homs, l’éducation est fondamentale : « J’aimerais que mon fils Al Motassem Billah devienne médecin comme moi, alors qu’ici il doit travailler dans un restaurant de 11 h à 3 h du matin pour payer notre loyer », dit-il dans la maison qu’ils louent à deux pas de Tal Abbas. Un rêve qu’il espère voir se concrétiser en France, loin de la guerre qui a emporté son autre fils Mhamma, tué par une balle de sniper sur le chemin de l’université.

Emmanuel Haddad, correspondance de Beyrouth.

Refugees waited in line on Monday morning to board buses bound for reception centres across France (Reuters)

photo : middleeasteye.net

Aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. L’émotion est palpable, tant du côté des accueillis que des accueillants.

Quelques dizaines de personnes qui ne se connaissaient pas se regardent dans les yeux, touchées, mêlant parfois une larme à un sourire. Les 15 personnes embarquées à Beyrouth ont posé le pied en France, accueillies dans le cadre du couloir humanitaire mis en place avec le Liban.

Pour leur souhaiter la bienvenue dès la descente de l’avion, les aumôniers de l’aéroport, dont le pasteur Pierre de Mareuil, se sont mobilisés, ainsi que des bénévoles des institutions chrétiennes parties prenantes de ce programme humanitaire.

Plusieurs jeunes avaient également été choisis pour aller à la rencontre des nouveaux arrivants. Valentina et Axoum en faisaient partie. Difficile de savoir exactement quoi dire et quel geste faire, mais les deux jeunes filles ont eu le sentiment d’être utiles et ont vécu ce moment avec intensité.

Un concert d’applaudissements a accueilli le petit cortège lorsqu’il est parvenu jusqu’au grand salon feutré de l’aéroport, réservé pour l’occasion.

Énergie du cœur

Valérie Régnier, qui a accompagné les réfugiés dans l’avion depuis Beyrouth, a été la première à prendre la parole : « Nous faisons ce soir la démonstration qu’une réponse à la pression migratoire est possible. Une réponse humaine, humaniste. » La présidente de la communauté

Sant’Egidio France a alors exprimé sa joie de voir une « nouvelle forme de solidarité » se mettre en place « reproductible grâce à l’énergie du cœur et de l’amitié, qui est inépuisable ».

Ce soir-là, après un passage des contrôles de sécurité qui a pris du temps pour ces personnes éligibles au statut de réfugié, les discours se voulaient courts. Et leur tonalité

moins officielle qu’humaine. Comme l’a rappelé François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, l’histoire a commencé il y a des mois, alors que les personnes ici présentes ne s’étaient jamais rencontrées. Cette histoire, c’est celle de la fraternité, « la seule qui vaille la peine dans ce monde ». « La journée a été longue mais magnifique. C’est l’aboutissement de plusieurs mois de négociations », confie-t-il.

L’État français, représenté en la personne de Raphaël Sodini, directeur de l’asile au ministère de l’Intérieur, s’est réjoui d’avoir été « un facilitateur » dans cette opération et « espère permettre à l’opération d’aller jusqu’à son but ». « Les chrétiens peuvent donner du souffle à la République quand ils s’y mettent ! », souligne François Clavairoly. Jean Fontanieu, secrétaire général de la FEP, et d’autres représentants des institutions catholiques partenaires étaient également présents aux côtés de quelques familles d’accueil.

Tous ont su trouver des mots de bienvenue et d’encouragement à l’attention de ces hommes et de ces femmes qui, avec leurs enfants, frères ou sœurs, ont souscrit à l’exil.

Parmi eux, Micheline est venue avec son frère jumeau, handicapé, ainsi que leurs parents. Soulagée autant que bouleversée, un peu anxieuse sans doute, elle peine à dire sa joie d’être là. Un peu plus loin, Al Motassem, casquette retournée et écouteurs autour du cou, semble absorber le choc culturel sans trembler. On devine pourtant qu’il faudra laisser du temps au temps…

Photo : PressTV

Visages heureux mais fatigués

« L’intégration n’est pas chose facile. Nous avons souvent à faire à des personnes traumatisées, qui ont besoin de soins psychologiques et/ou médicaux. Nous avons d’ailleurs choisi de les aider parce qu’elles en ont particulièrement besoin », précise sans faux-semblant Luca Negro.

Le président de la Fédération protestante d’Italie (FCEI), qui s’exprime avec un an et demi de recul par rapport à l’accueil de 850 réfugiés dans son pays, estime néanmoins que le dispositif fonctionne bien. De plus, le fait qu’un couloir humanitaire soit établi avec un deuxième pays européen renforce l’espoir que les pourparlers débouchent bientôt en Belgique, en Allemagne et en Pologne.

Il est tard. Les visages sont heureux, émus mais fatigués.

Il est l’heure de sceller cette nouvelle vie ensemble par un verre de l’amitié. Dès le lendemain, les familles reprendront la route pour gagner leurs lieux d’hébergement respectifs, qui au Mans, qui au Havre, à Pau, à Nîmes, à Fontainebleau… Il faut retrouver quelques forces. « Pour la première fois depuis sept ans, je vais passer une bonne nuit. Je suis heureux qu’un peuple ait un cœur si grand et nous accueille dans son pays », a témoigné Nasar Alzahouri, le père d’une des familles arrivées.

Pour autant, personne n’oublie ceux qui restent, à l’image d’une seizième personne qui aurait dû se joindre au groupe déjà arrivé. Difficile d’expliquer un tel retard, d’autant que le jeune homme a obtenu son visa. Ce sont vraisemblablement les vérifications de la sûreté libanaise qui, prenant beaucoup de temps, ont compromis un départ le 5 juillet. Mais celui-ci ne devrait pas être repoussé de plus d’une semaine, voire dix jours.

Ce premier accueil est « un signal, une lueur d’espérance », selon les termes de Véronique Fayet, présidente du Secours catholique-Caritas France, pour ceux qui sont encore dans la souffrance au Liban, en Syrie, en Irak ou en pleine mer, prêts à tout pour une vie « meilleure », autrement dit en paix. Juste en paix.

Claire Bernole à Roissy-Charles-de-Gaulle

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